Donald Morrison, journaliste, auteur de "Que reste-t-il de la culture française ?"
C comme culture, D comme déclin, E comme erreur ?
LE MONDE | 29.11.08 | 20h48 • Mis à jour le 30.11.08 | 11h01Dans votre livre, Que reste-t-il de la culture française ?, qui prolonge votre article de Time Magazine, vous précisez que celui-ci vous avait été commandé par des Anglais et que "la rivalité historique entre les deux pays" peut faire peser un certain soupçon sur cette demande. Pourquoi alors avoir accepté la commande ?
J'ai d'abord refusé, je trouvais qu'il n'y avait pas là de sujet, je vis à Paris plusieurs mois par an et la culture est partout, bien vivante. Mais quand j'ai regardé l'impact de cette riche culture outre-Atlantique, j'ai vu qu'il était quasi nul, surtout si on le compare au rayonnement français de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Alors, j'ai cherché à comprendre. J'ai constaté, en premier lieu, le déclin de la langue française.
Il faut pourtant attendre la page 100 pour voir surgir cet argument. Lorsqu'une langue n'est plus dominante, le rayonnement culturel est moindre.
C'est tout à fait vrai pour la littérature, mais ça ne devrait pas jouer pour les autres arts. Or, à l'exception des architectes, les artistes français, plasticiens, musiciens, sont moins cotés que leurs contemporains britanniques ou américains.
"L'art n'est plus considéré avec le sérieux nécessaire en France", écrivez-vous. N'est-ce pas là le vrai problème, non pas la culture française, mais la France et son déni de sa propre culture, son manque d'intérêt pour la culture ?
Si, en partie. Je cite le cas du photographe Helmut Newton, qui a vécu en France, aimait la France et a voulu donner des photos à la France. On a refusé, il les a données à Berlin. Et que dire de François Pinault emportant sa collection à Venise ?Est-ce que votre article et votre livre - dans une moindre mesure parce que plus nuancé - ont exaspéré les Français parce que vous leur montrez, en creux, une image d'eux-mêmes qui les dérange ?
Celle de gens qui, tout en proclamant le contraire, n'aiment pas leur culture. Il suffit de voir la sévérité des critiques sur la production française, et leur indulgence à l'égard de ce qui vient d'ailleurs, notamment des Etats-Unis, en particulier en littérature. Si on camouflait certains textes français en textes américains, ils feraient la couverture des magazines branchés. Et inversement, un roman américain moyen transformé en production française serait, à coup sûr, démoli.C'est vrai, mais ce n'est qu'une partie du problème. Il faut aller plus loin dans le rapport de la France à sa culture. Même si les critiques font ce que vous décrivez, la France assiste sa culture, et il est facile d'être célèbre en France avec des romans médiocres, nombrilistes, des films que personne ne voit sauf sur Canal+. Les artistes n'ont pas à se battre, pas plus que les éditeurs, les producteurs, les galeristes. Il est bien plus facile ici d'être un artiste, singulièrement un écrivain, qu'aux Etats-Unis.
On voit pourtant moins d'à-valoir colossaux.
Parce qu'il n'y a pas d'agents. Mais ici tout le monde écrit, tout le monde peut et veut écrire. Et il est facile d'être publié, j'en suis la preuve.
Il est vrai que trop de Français se croient écrivains. Mais certains le sont. Pas toujours avec un mode de narration semblable à celui des Américains, modèle désormais dominant. Le roman américain aujourd'hui - sauf pour quelques grands écrivains - c'est souvent avoir "a story", une bonne histoire, déjà prête pour le cinéma.
Oui, mais c'est une narration empruntée aux grands auteurs français du XIXe siècle, Balzac par exemple.
Peut-être. Alors, comment expliquez-vous que les critiques littéraires de langue anglaise, à travers le monde, en 2000, aient désigné comme plus grand écrivain de langue anglaise du XXe siècle James Joyce, dont on ne peut pas dire qu'il soit un tenant de ce type de narration ?
Je l'ignorais... C'est très français... En France, c'est le Nouveau Roman qui a fait du mal à la littérature. Certes, il était lu à l'étranger, mais les plus jeunes ont voulu le continuer et c'est devenu l'autofiction.
Claude Simon, précurseur de l'autofiction ? La plupart des jeunes auteurs ne font pas d'autofiction. Quant à la génération qui suit immédiatement celle du Nouveau Roman - Le Clézio, Modiano, Sollers et quelques autres - elle est aussi très loin de ce que vous suggérez. Ils sont plus traduits que vous ne le pensez, sauf aux Etats-Unis. Mais, comme le dit Philip Roth, où sont les lecteurs ?
Enfin, pourquoi n'avoir critiqué que la France ? Vous auriez pu dire aussi, peut-être à tort, que l'Allemagne n'avait pas trouvé ses nouveaux Robert Musil, Thomas Mann...
C'est le fond de l'affaire. La France est le seul pays au monde pour lequel la grandeur signifie la grandeur de la culture. C'est un pays qui n'a pas seulement été fondé sur des principes politiques, mais sur la pensée, sur les Lumières. La "francité" passe par la culture, et c'est ça que j'ai touché dans mon article de Time. Sans une culture supérieure, la France devient un autre pays.Dans le livre, le sous-titre de votre article du Time est traduit ainsi : "Qui peut citer le nom d'un artiste ou d'un écrivain français vivant ayant une dimension internationale ?".
Or le propos en anglais, "global significance", était plus dévalorisant.J'aurais dû dire "reputation" et non "significance".
A propos de "global significance", que pensez-vous du Nobel de Le Clézio ?
Je m'en réjouis, il écrit une littérature ouverte sur l'extérieur, pas franco-centrée.
Pensez-vous l'avoir aidé par vos critiques de la France ? Vous avez entendu les déclarations de l'Académie Nobel sur la culture américaine.
Les Nobel ont raison sur un point, le manque de curiosité des Américains pour tout ce qui vient de l'étranger. Mais ils ont tort sur la littérature américaine elle-même. Quoi qu'il en soit, le Nobel est un prix assez politique, et de plus en plus politiquement correct. Et je ne crois pas avoir influencé le vote.
En revanche je suis heureux de prendre ma part des prix littéraires français de cette année, un Goncourt afghan, un Renaudot guinéen et un Médicis avec un gros livre pas du tout narcissique.
Là où les tigres sont chez eux, de Jean-Marie Blas de Roblès, qui a reçu le Médicis, a pourtant été étrillé par ceux qui délirent devant tout ce qui vient d'Amérique.
Je ne conteste pas cette réalité. Mais convenez que les écrivains américains se saisissent beaucoup plus que les français des grands problèmes du monde. La Shoah, la seconde guerre mondiale, le Vietnam, les questions du développement, du terrorisme...
On a le sentiment que vous faites ce constat sans lire les auteurs français. Et dans le livre, dans les remerciements, ne figure qu'un seul écrivain français, Marc Levy. En avez-vous rencontré d'autres ?
... J'aurais pu mentionner Bernard-Henri Lévy, mais nous ne nous connaissons pas assez.
Un point de détail : que voulez-vous dire en affirmant qu'à sa mort Françoise Sagan n'avait rien écrit d'intéressant depuis cinquante ans ?
Je ne suis pas le seul hors de France à penser cela.
Elle est morte en 2004, elle a publié Bonjour tristesse en 1954, elle aurait donc écrit un seul bon livre ?
Aimez-vous Brahms..., c'est plus tard ?
1959.
... Alors disons quarante-cinq ans.
Croyez-vous ? Avec mon meilleur souvenir, très bon livre, est de 1984... Et toute ma sympathie, de 1993, et Derrière l'épaule, où elle juge son oeuvre avec beaucoup de sévérité, de 1998...
Peut-être, mais c'est encore une qui a écrit sur elle-même et ses amis, rien de plus.
Passons au théâtre. Que veut dire "malheureusement la France produit plus de Soulier de satin que de Fugueuses" ?
Je n'aurais pas dû prendre comme exemple Le Soulier de satin, magnifique pièce de Claudel - mais pas accessible. Je voulais dire qu'en France, il y a trop peu de pièces intelligentes accessibles à un large public. Il y a du théâtre très populaire et du théâtre élitiste, c'est tout. Et la Comédie-Française, qui monte le répertoire. A Londres et aux Etats-Unis, c'est autre chose, on a du jeune théâtre intelligent sans être élitiste.
Les architectes, vous le disiez, échappent au déclin que vous décrivez. Pourtant vous estimez que la France privilégie ses propres architectes pour des projets médiocres.
Oui, la bibliothèque François-Mitterrand, l'Opéra-Bastille...
... Dont l'architecte est canadien.
Qu'avez-vous pensé de la réaction de Bernard-Henri Lévy à votre article ? Il y voyait une crainte de la culture américaine sur elle-même.
J'ai une mauvaise nouvelle pour lui : les Américains ne pensent plus du tout à la France, les Américains ne se préoccupent pas de savoir comment leur culture est reçue à l'étranger. C'est un pays suffisamment grand pour qu'ils se sentent assurés de ce qu'est être américain et avoir une culture qui se porte très bien. Ils regardent l'Asie, mais pas pour sa culture. Ils ne craignent pas les romans indiens, les films chinois, etc.
Moi j'enseigne depuis quelque temps en Chine. La culture y est en expansion. Mais il y a du chemin à faire.
Après tout ce que vous dites de la France, pourquoi donc aimez-vous y vivre ?
Mais pour la culture, bien sûr !
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